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De l'unité -
C'est troublant de se sentir différent des autres, tout en sachant que c'est l'un des sentiments les plus communs. Mais qu'en est-il de Nietzsche, Dostoïevski ? Se sentaient-ils profondément uniques ? Bien au-delà d'une descente égocentrique et d'une passade existentielle. Savaient-ils qu'ils allaient transformer ma vie et celle de tous leurs lecteurs amoureux ? Comment les autres se suffisent d'une soirée ? D'un moment passé à statuer sur leur sort et à saturer le temps, de paroles qui méprisent le silence. Si seulement ils savaient. Tout est misérable dans notre condition et pourtant, ils s'en sortent bien mieux que moi. Je n'ai aucune tendresse pour les visages qui se retournent, aucune envie de partager mon soir à leur euphorie. On grandit si bien quand on se sent mourir. Aussi ironique que ça puisse être, l'aspiration pour la mort à travers l'angoisse est le vecteur de vie le plus puissant que je connaisse. Dans cette naïve dualité, rien ne touche plus à cette volonté vitale que de se sentir mourir au quotidien. Je meurs de tout, souvent. Je ne vis de rien, parfois. Et dans tout ce chaos, je suis là, je continue de traverser ce vide, si dense soit-il.
Des clubs et des yeux -
Il découpe ses désirs pour un verre. Le jeu est toujours le même, une exclusivité éphémère contre un peu de ce qu'il a en trop. La solitude est le vecteur de sa méprise, la seule source rentable pour celles qui savent si bien jouer avec. Tout est perdu dans sa soirée, mais il donne encore plus, il la prolonge pour éloigner demain. Le soleil se lève et perce de sa chaleur les portes de son marasme. Il rentre pour s'abattre sur un lit qui ne connaît que son pouls. Les battements de ses conquêtes chimériques sont restés dans ce club, là où le son est saturé par l'ivresse, là où personne n'aime écouter, car les yeux prennent trop de place.
Du rejet -
Ils se retournent tous, mais personne ne fait rien. C'est bien plus facile de faire des scénarios fantasmés, portés par un courage qu'ils n'auront jamais. Leur seule obsession c'est elle, et il est bien plus satisfaisant de parler de leurs prétendus plans, de remplir leurs verres de leurs projections plutôt que de risquer de découvrir le voile qu'ils se mettent. Personne ne fera rien, paralysé par la peur et le rejet.
De la rencontre -
J'aimerais lui dire que je n'ai rien à lui offrir, mais je reste là, pétrifié par sa spontanéité et ses attentes douloureusement cachées. Il vaut mieux ne rien révéler de tout cela, la séduction prend sa source dans les non-dits, les fausses déclarations. L'attirance se nourrit de la violence des pulsations d'un cœur qui ne semble pas battre pour nous. On pourrait survivre une soirée, mais après, j'aurais trop d'intégrité pour ne pas lui dire que ce qu'elle est, n'a jamais été pour moi. Même pas au début. J'ai juste su poser un voile sur mes désirs pour qu'une partie de celui-ci recouvre ses yeux. Pour le reste, j'ai laissé faire mon archaïque enthousiasme et laissé libre cours à la prétention de ses doigts. Ses lèvres mystifient ses attentes, tout comme ses mots et tout comme les espoirs qu'elle porte sur notre rencontre. Son cœur préfère souffrir plutôt que de ne rien connaître et je crois qu'il a raison. À quoi bon lui parler des questions qui me définissent. Au fond, elle rejettera les réponses, car elle apprécie seulement l'idée qu'elle s'est faite de moi. Et si cette illusion peut durer un soir de plus, rien ne sert de s'en priver. Le lendemain, il faudra juste qu'elle sache comment recoller les morceaux. Moi, je ne serai plus là, déjà occupé à recoller les miens.
Du dessin -
J'ai passé 28 ans à dessiner des mirages. Les histoires ne survivent pas lorsque les traits sont trop précis, elles se nourrissent de contours. Perdu dans des mensonges auxquels j'ai toujours cru, me voici devant une nouvelle toile, avec comme seuls modèles des histoires qui n'ont pas supporté la clarté de leurs traits.
Des films -
Pourquoi ses yeux sont si perçants ? Ma solitude incarne des fantasmes auxquels je ne pourrai jamais répondre. Parce que mon silence laisse place à toutes ses projections, celles qu'elle souhaiterait voir se réaliser. Mais le film se construit par ses réalisateurs absents. À l'instant, où j'aurai prononcé mes premiers mots, l'infini de son scénario, si séduisant, se verra réduit à ce que je suis vraiment, une matérialité parmi toutes les autres. Mon seul atout, c'est de ne jamais l'aborder. Son seul atout, c'est de me faire croire qu'elle le veut.
Félicie -
Son visage reflète une sérénité et une assurance qui l'écartent de toutes les autres. Elle ne veut rien prouver, simplement être là et apprécier les désirs qui la meuvent. Chez toutes les autres, la cigarette fait défaut, mais elle, elle sait comment l'incarner. La fumée qu'elle dégage cache pour quelques secondes un sourire qui se tend sans cesse, comme si une pause était nécessaire face au spectacle de son bien-être immuable. Comment fait-elle pour être si légère quand tous les autres semblent la tirer de leurs poids ? On ne demande pas les réponses à ceux qui savent être sans artifices.
De l'échange -
Qu'y a-t-il de si bon dans ce premier rendez-vous avec elle ? Est-ce l'instant présent qui les porte ? Ou la projection d'un futur qui s'allie à leurs désirs ? Le portable est un si merveilleux outil, il permet d'atrophier les échanges sans passer par les silences qui permettraient de sonder des ressentis plus profonds. Plus personne n'aime être gêné. En fait, personne n'a jamais aimé cela, mais ça a toujours été un mal nécessaire. Désormais, il suffit d'accourir de nos doigts vers cette ironique aide pour se donner de la consistance. Mais s'il avait plongé quelques secondes ses yeux dans les siens, en suppliant de corrompre ce silence, il aurait peut-être eu quelques réponses pour la suite. Peut-être qu'elle n'est pas ce qu'il croyait, peut-être qu'il n'est pas pour elle ce qu'il pensait. Mais il ne pourra jamais le savoir. Il restera des années à penser qu'il est normal de s'ennuyer, même le premier soir, même lorsque la passion amoureuse le berce de ses tourments et le réchauffe de ses flammes. Il suffit de s'esquiver derrière des messages en attente, pour répondre à des personnes dont le premier soir ressemble étrangement au sien.
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